Nous sommes aux Philippines, dans les bidonvilles de Manille,parmi les plus pauvres, où chacun semble crier : « Eli, Eli,lama sabachthani ? (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) » W. L. Tochman, un des chefs de file de l'école polonaise du reportage littéraire, interroge notre façon de nous tenirdevant la douleur des autres (Susan Sontag). S'il se penche sur leshabitants et leur misère, il refuse d'être un de ces « purs regards »auxquels personne ne croit plus. Sans cesse, il nous montre celui quiregarde - qu'il soit touriste ou reporter -, il interroge sa place, sonéthique et son utilité.Bien entendu, Tochman élargit son cadrage quand il veut éclairer lesressorts d'une oppression économique : néocolonialisme américain,tourisme sexuel, poids de l'Église, corruption... mais c'est surtoutla responsabilité individuelle - à commencer par la sienne, commehomme et comme écrivain - qu'il entend exposer.Une femme que sa maladie de peau fait ressembler à un monceau degrains de raisin, un gamin qui habite un tombeau (dans un cimetièreoù tous les tombeaux sont habités), un caïd maigre et tatoué, qui apour un instant troqué sa lame contre un biberon... À mesure quese constitue cette galerie de portraits inoubliables, le reporter vérifiequ'on ne saurait rencontrer quiconque sans se lier, sans s'impliquerdans une histoire, entre compassion, désarroi et espérance têtue.